Avant même de pouvoir parler, j’éclate de rire : tout du long des murs des caisses de bois, des à étagères, des à casiers, des super grandes, des moyennes, et peintes de toute les couleurs ! Pas un meuble. Une planche bleue posée sur… deux caisses en guise de table basse : je me retrouve dans le garage de mon grand-père du Sud – où jamais n’entra de voiture – mais où trônait son « établi » entouré des mêmes caisses contenant ses outils à fabriquer des meubles en dentelle de bois.
Mon fou-rire est contagieux, et le garçon brun qui récupère son décor de bois chez les commerçants de la rue Lepic, puis les peint selon l’humeur du jour, berce en riant un accordéon, et Pierrot me dit : voilà Francis ! Ce fou rire nous a rapprochés sur l’instant et pour la vie.
C’était toujours il y a 50 ans , mais là, je serai plus précise : pas la peine d’essayer de savoir pourquoi « le grand webmaster » nous a réunis, Pierre Barouh et moi, dans un film tourné … près de Palavas les Flots par une metteur en scène inconnue – mais qui a décroché an i964 le Prix des Ciné-clubs, tourne dans le monde entier depuis et a été sélectionné à NYC en 1995 pour être projeté sur écran géant au Green Festival de Brooklyn – bref, dans ce film, dernière scène, je cours dans le désert de sable de la plage du Phare de l’Espiguette, attendant le frère de Laurent Terzief qui ne vient pas, puis je m’assieds et je fredonne à voix basse une vieille chanson : « tu l’as voulu, t’en plains pas, fallait pas y aller, ma Rosalie… fallait pas y aller et puis voilà !... » Quand Francis voit le film il me dit : « J’ai une nouvelle chanson, et c’est toi qui va la chanter. C’est trop bien ! »
Je jure que je ne mens pas : cette chanson, c’était « Chabadabada… » Et Francis, tout dépité parce que je lui affirme que je suis, à part ces petites chansons d’enfance, incapable de sortir le moindre son agréable ! J’ai rencontré plus tard Nicole Croisille dans un village-château dans les Pyrénées – Dalida, Alexandra Stewart, étaient là aussi – cet improbable Castelnou où nous avons servi de mannequins d’un jour à un peintre-couturier un peu fou ! ! ! Je ne lui en ai pas parlé…
C’était en septembre 1995, à La Caverne du Barbu où l’on rend hommage à Bernard Dimey. Francis est là bien sûr. Et nous sommes heureux, moi qui habite au 17 – Bernard était au 13, de la rue Germain Pilon – de participer à la fête qui célèbre la pose en fin de matinée, de la plaque pour Bernard, sur le mur de sa maison. Tout Montmartre était là ! Le soir au fond de La Caverne, Francis et moi, on pose ensemble devant le portait de Dimey peint par Yvette Cathiard.
Depuis, c’est en face de la Tour Eiffel que je grimpais dans le triplex habité par Francis – sa fille que j’ai connue petite fille se souvient-elle de moi ? – nous nous voyions dans son studio d’enregistrement, il me disait encore et toujours son horreur à sortir de sa tanière de trois étages, même pour grimper à Montmartre… Son accordéon électronique était toujours là, près de lui, et un jour, où je lui montrais mes dernières chansons, il les regarda, et tout à coup en choisit une et se mit à lui inventer un air. « Les lunettes magiques » sont toujours dans mon grand carton bleu ! C’est Francis qui chante sur ces invraisemblables petites roues marron, et je garde sa voix comme un trésor. « Il y a très très très longtemps, tu voyais le vert de mes yeux dans le vert des lacs romantiques. T’as paumé tes lunettes magiques au plus profond du temps qui passe, moi, j’ai des envies frénétiques de me tirer loin dans l’espace »
Juste une anecdote qui l’a fait tellement rire : sur ses conseils, j’ai envoyé la cassette…. à une chanteuse à lunettes – juste au moment où le paquet disparaissait dans la boîte, j’ai eu l’intuition de la suite – qui m‘a retourné une lettre d’injures gratinées, me parlant de sa célébrité et me disant entr’autres amabilités que j’étais «super culottée » de m’attaquer ses lunettes …
Depuis, cette chanson, j’en ai des dizaines dans un grand carton, elles attendant comme celles de Francis qui m’a dit un jour : « Si tu savais, même moi, j’en ai des centaines et des centaines, plein mes boites ! »
Francis, tu es devenu, de disques d’or en disques de platine l’un des compositeurs les plus en vue du cinéma français et du monde. Pour tes amis tu resteras ce garçon, puis cet homme sensible et discret, presque sauvage, « acagnardé » – c’est un mot de chez nous, du Sud, qui veut dire « caché dans un coin » – avec sa famille et ses amis autour de lui, juste là-haut dans les nuages de Paris, ton accordéon éternel près de toi.
Reportage Linda Bastide paru dans la revue Paris Montmartre du 1er trimestre 2019